L'ADOPTION MONOPARENTALE

L'adoption monoparentale est méconnue. Peu d'études lui ont été consacrées. L'opinion publique ignore le plus souvent que la loi autorise les personnes seules à adopter. Les uns s'en étonnent, les autres s'en réjouissent, d'autres encore doutent du bien fondé d'une telle possibilité. La réflexion actuelle sur la famille et la filiation, le débat autour du pacte civil de solidarité, la revendication des couples homosexuels à l'adoption ont fait resurgir des préjugés, des a priori que l'on croyait balayés.

Face à ces incompréhensions, il est nécessaire de rappeler la finalité de l'adoption: donner une famille à un enfant qui n'en a pas, cette famille fut-elle composée par un seul parent. C'est ainsi que depuis des décen­nies, quelques milliers d'enfants grandissent dans la chaleur d'un foyer plutôt que dans une institution. Ces familles monoparentales ont leur sin­gularité, leurs contraintes, leurs limites. Mais ce sont de vraies familles pour leurs enfants !

Ce que dit la loi

La reconnaissance juridique de l'adoption monoparentale est ancienne puisqu'elle remonte à... 1923. Elle s'inscrit alors dans un contexte d'après guerre où les veuves et les orphelins sont nombreux. Ces adop­tions par un seul parent ne bénéficient pas de la légitimation adoptive créée en 1939 - réservée aux conjoints - et qui intègre totalement l'en­fant dans sa famille.

En revanche, en 1966, le législateur ouvre le bénéfice de l'adoption plé­nière aux enfants des célibataires. Consacrant ainsi le principe de la plu­ralité des formes familiales et son corollaire: l'enfant doit jouir partout des mêmes droits et de la même protection.

De l'agrément au conseil de famille

Deux parents plutôt qu'un seul ? Un seul parent plutôt que pas du tout ? L'alternative, pour les responsables du placement des enfants, se pose-t-elle en ces termes ?

La capacité à accueillir un enfant en vue d'adoption s'apprécie d'abord au regard de qualités humaines et éducatives, qui ne dépendent pas du statut matrimonial.

L'article 9 du décret d'août 1985 sur l'agrément a fort justement ainsi été écrit:

“(le refus d'agrément) ne peut être motivé par la seule constatation de l'âge ou de la situation matrimoniale du demandeur ou de la présence d'enfants à son foyer”.

La décision de retenir telle famille agréée plutôt que telle autre doit, quant à elle, obéir à une seule considération: quel est le projet d'adop­tion le plus favorable à l'épanouissement de cet enfant là, avec son vécu, son histoire ? Il ne sera pas, dans tous les cas, celui d'un couple. Des conseils de famille ont déjà confié des bébés à des célibataires, jugeant dans l'intérêt de l'enfant qu'il serait plus heureux avec cette maman seule qu'avec ce père et cette mère plus “rigides”, moins aptes à assumer une différence ou une histoire difficile...

Mais ces situations se rencontrent rarement. Les candidatures des couples sont bien plus nombreuses que celles des célibataires. A qua­lités d'accueil “égales”, les couples seront privilégiés. Au motif qu'il est préférable, pour l'enfant, d'avoir un père et une mère plutôt qu'un seul parent. Nul ne le conteste et la plupart des célibataires admettent parfaitement ce principe de réalité.

Pas de systématisme

Doit-on pour autant lier famille monoparentale et enfants dits à particu­larités ? Estimer que les célibataires doivent d'abord accueillir les enfants refusés par les couples ?

En France comme à l'étranger, la majorité des couples se tournent plus souvent vers l'enfant jeune et sans problème. De fait, les enfants en attente de famille parce que grands, perturbés, malades, handicapés, en fratries, sont généralement proposés aux adoptants monoparentaux. Ce qui fait dire à certains, d'un trait un peu caricatural : “nous sommes les parents dont personne ne veut pour les enfants dont personne ne veut...”. Or Si bien des célibataires ont spontanément une demande ouverte, la pression parfois exercée par les services sociaux ou les organismes autorisés pour l'adoption est mal ressentie... Pourquoi une personne seule serait-elle plus capable qu'un couple d'assumer ce type d'accueil particulièrement exigeant ? Forcer son projet d'adoption, surestimer ses capacités peut conduire à l'échec, la souffrance et la culpabilité d'une rencontre ratée. Des couples comme des célibataires - et leurs enfants vivent ces situations dramatiques.

A l'inverse, lorsqu'il s'agit d'un choix authentique, mûrement réfléchi, pourquoi cette demande a-t-elle souvent tant de mal à aboutir en Fran­ce ? Le constat est paradoxal : beaucoup de célibataires ont adopté à l'étranger des enfants “dits à particularités ”, faute de voir leur projet se concrétiser dans l'hexagone.

Vivre au quotidien

Une famille monoparentale n'est pas un pis-aller. Il est essentiel que son projet d'adoption soit apprécié sans faux-fuyants, avec réalisme et objectivité, dans le respect de ce qu'elle est capable d'offrir à un enfant. Au-delà de la diversité des accueils et des situations, ces familles à parent unique savent porter un regard lucide sur leurs “plus” et leurs “moins”.

Elles témoignent toutes d'une forte motivation, d'un projet cohérent et d'une organisation sans faille, pour faire face à leurs responsabilités éducatives et professionnelles. Elles savent pouvoir compter sur une famille élargie, partie prenante dans cette aventure de l'adoption l'en­fant sera aimé par un seul parent certes, mais aussi par des grands-parents, des oncles et tantes, des cousins, des cousines.

Elles sont conscientes de la difficulté à gérer seules le quotidien, à prendre et à assumer des décisions importantes sans l'appui d'une autre épaule. Elles connaissent l'inquiétude sur l'avenir, cette question angois­sée de leur enfant : “et Si tu meurs ?” et les solutions qu'il faut envisager pour faire face à toutes les éventualités.

Le manque de père

L'absence de père, d'un père “social”, (...ou d'une mère, dans les cas, beaucoup plus rares, où l'adoptant est un homme) est au cœur de la controverse sur l'adoption monoparentale. Cette question n'est pas élu­dée par les familles, bien au contraire. Chacune répond, à sa manière, à la nécessité d'offrir à l'enfant ce référent masculin que l'on évoque si souvent au cours de la procédure d'agrément. Elles le trouvent dans un réseau familial et relationnel souvent très riche.

Un oncle, un parrain, un ami ne remplacera jamais un père ; les familles monoparentales le savent et l'enfant aussi, qui réclame, parfois, un papa. Mais... l'orphelinat, le délaissement affectif, la maladie... sont-ils préfé­rables au fait d'être élevé, aimé par un seul parent, entouré d'une famil­le et d'amis ? Il y a l'idéal et il y a la vie, imparfaite, qui offre, au hasard des parcours, différents modèles de famille où l'on apprend à vivre heu­reux ensemble.

Agrément et homosexualité

La question de l'homosexualité nourrit largement l'actuelle controverse sur l'adoption monoparentale. La sexualité de chacun relève de la vie privée et ne devrait pas (en principe, car certains services de l'ASE font exception) être abordée au cours de la procédure d'agrément. Des célibataires n'ayant pas fait mention de leur homosexualité ont obtenu l'agrément parce qu'ils ou elles présentaient toutes les qualités requises pour l'adoption d'un enfant. D'autres ont joué la transparence et essuyé des refus, bien qu'on leur recon­naisse, par ailleurs, ces mêmes qualités d'accueil...

Longtemps esquivé, le débat est aujourd'hui sur la place publique et appel­le une nécessaire réflexion. Mais quelles que soient les interrogations que pose “l'homoparentalité” vécue dans le cadre singulier de l'adoption, elles ne justifient en rien la remise en cause de la loi autorisant l'adoption par les personnes seules.

 

DES FAMILLES MONOPARENTALES INSCRITES DANS L'HISTOIRE D'ENFANCE ET FAMILLES D'ADOPTION

Dans la société, dans d'autres associations, au sein d'EFA, ces familles à parent unique existent. Elles étaient présentes dès la création de l'A.F.N.F.A. en 1953, alors que l'UNAF (1) n'accueillait que des couples. Dans les annales du mouvement, on trouve le témoignage d'un pasteur, recueilli, puis adopté à la fin du siècle dernier par une femme seule, bien insérée dans la société, qui n'a jamais jugé bon d'expliquer la présence de cet enfant, à une époque où il était malséant d'être « fille mère ».

 

 

(1) Union Nationale des Associations Familiales

 

Combien sont-elles ?

EFA en compte près de 11% dans ses associations, proportion corroborée par les statistiques de la Justice qui tournent autour de 10%.

Sur 30 départements nous ayant communiqué leur nombre d'adhérents céliba­taires :

- 3 en comptent moins de 5%,

- 11 en comptent de S à 10%,

- 11 en comptent de 10 à 15%,

- 3 en comptent de 15 à 20%,

- 2 en comptent plus de 20%.

Ces chefs de famille sont dans leur immense majorité des femmes, le plus souvent célibataires, parfois veuves ou divorcées. Certaines se sont impliquées dans des associations humanitaires. Des adoptants hommes sont représentés dans quelques départements.

 

Quels enfants adoptent-elles ?

Elles ont de tous temps, plus facilement que les couples, accueilli des enfants présentant un handicap - comme par exemple la surdité - un problème médical (pied-bot, bec de lièvre...) ou une “particularité” de l'époque... car les particularités évoluent.

Années 1960-1970 On observe en effet, dans les années 60-70, l'accueil d'enfants de couleur, de 0 à 6 ans, nés en France, parfois venus de Polynésie ; ils étaient alors moins bien acceptés par les couples. De plus, dans un contexte marqué par la guerre d'Algérie, beaucoup de couples refusaient l'éventualité d'accueillir un enfant de type maghrébin.

Avec le développement de l'adoption internationale, les couples se sont ouverts à leur tour à l'adoption d'enfants de couleur nés en France. Les célibataires, pra­tiquement exclus de l'adoption d'enfants français, commencent alors à se tour­ner vers l'étranger: Chili, Inde, Corée, Vietnam, leur sont ouverts.

Années 1980 Cette tendance s'accentue. Les enfants accueillis de l'étranger sont parfois grands, (jusqu'à 11 ans), et pour certains handicapés. D'autres pays s'ouvrent aux célibataires dans les années 80 : Haïti, Brésil, Togo, Chili, Colombie, Salva­dor, Maurice, Cameroun, Pologne, tandis que l'Inde se ferme. Très peu d'enfants nés en France leur sont confiés : dans cette hypothèse, il s'agit essentiellement d'enfants présentant un problème médical, ou un handicap.

Années 1990 De plus en plus de pays s'ouvrent aujourd'hui à l'adoption monoparentale :

Rwanda, Madagascar, Tchad, Ethiopie, Djibouti, Sénégal, Niger, Côte d'ivoire, Mali, Centrafrique, Burkina-Fasso, Liban, Sri Lanka, Turquie, Equateur, Mexique, Pérou, Costa Rica, Guatemala, Russie, Bulgarie, Lettonie, Lituanie, Chine. Depuis 3-4 ans, le Vietnam est devenu le premier pays d'origine des enfants adoptés par les célibataires comme par les couples.

L'âge des enfants s'échelonne de quelques mois à 14 ans. Certains sont en fratrie, d'autres handicapés. Par ailleurs, des célibataires - comme certains couples - ont accueilli avec une Kafala (ce qui équivaut à notre délégation d'autorité parentale) des enfants du Maroc et d'Algérie, prenant le risque de difficultés à obtenir un jugement d'adoption en France.

La famille composée par les célibataires Quelques associations comptent maintenant un, voire deux célibataires hommes. Une enquête de portée restreinte relative aux années 70-80, montre que si le plus grand nombre des célibataires a accueilli un seul enfant, (pas forcément par choix), quatre sur dix d'entre elles ont adopté 2, 3 enfants, parfois davantage.

 

Quelle est la profession des adoptant(e)s célibataires ?

Leur profession Toutes les catégories professionnelles sont en fait représentées, elles exercent :

- pour certaines, des professions libérales (orthophoniste, expert-comptable, pharmacienne, dentiste, kinésithérapeute ...

- pour d'autres, à des échelons divers, des emplois au sein d'entreprises, d'administrations (beaucoup d'enseignantes), de collectivités diverses, la proportion de celles bénéficiant d'un statut de fonctionnaire étant particulièrement importante : de l'ordre de 50 % d'entre elles en Ile-de-France, parfois jusqu'à 90 % en milieu rural.

Ces chiffres autorisent à penser que les enquêtes sociales et les commissions d'agrément sont sensibles à la capacité des candidat(e)s à assurer la charge de leurs enfants.

De toute évidence, les célibataires adoptant(e)s sont bien inséré(e)s pro­fessionnellement, et dans la société. Ces familles monoparentales offrent à leurs enfants la stabilité et la sécurité dont ils ont besoin.

 

L’âge des adoptant(e)s monoparentaux

Dans les années 90, le plus grand nombre des adoptantes (43%) ont adopté leur premier enfant avant quarante ans, d'autres (41 %) l'ont accueilli entre 40 et 45 ans. Elles sont 16% à tenter l'aventure de l'adoption au-delà de 45 ans, exceptionnellement à plus de 50 ans. Si l'on considère l'écart d'âge parent-enfant, on note que celui-ci est inférieur à 40 ans pour 58% des primo-adoptants. En quelques décennies, la fourchette d'âge des adoptants mono-parentaux s'est considérablement élargie : ceci s'explique, d'une part, par la diminution de l'âge légal pour adopter (ramené depuis la création de l'A.F.N.F.A. de 40 à 28 ans), d'autre part, par l'ouverture de l'adoption à des enfants plus grands (souvent confiés à des candidats plus âgés).

 

PLAIDOYER POUR UNE FAMILLE

Il est difficile de témoigner d'un quotidien qui m'apparaît somme toute banal, éle­ver seule deux enfants ne représente pas une tâche herculéenne. Ce n'est qu'un quotidien fait de beaucoup d'amour partagé, de rire et de quelques larmes comme dans toutes les familles.

Certains défenseurs des « valeurs familiales » voudraient, dans un souci d'ordre moral sans cesse renouvelé, priver nos enfants de trouver dans nos bras : amour, écoute, sécurité et mille autres petites choses qui font de nous, ne leur en déplaise, des FAMILLES à part entière.

Face à nos détracteurs, faut-il réellement témoigner, justifier nos motivations, rendre compte de nos modes de vie ? Dans nos familles, depuis plusieurs décennies des enfants grands, dits à particularités parce que souffrant de han­dicaps, des fratries, mais aussi des bébés ont réappris à vivre, à rire, à aimer. Si nous avons encore quelque chose à prouver, nous qui sommes parfois allés vers des enfants que des couples n'osaient pas investir, c'est dans le regard de nos enfants que résident toutes les preuves, toutes les justifications.

Accueillir un enfant par adoption répond à deux désirs: celui d'avoir un enfant, et celui de donner une famille à un enfant qui n'en a pas, même si cette derniè­re n est composée que d'un seul parent.

Vouloir interdire l'adoption par les personnes seules revient à supprimer pour certains enfants le droit fondamental de vivre dans une famille.

Les grilles d'un orphelinat, la malnutrition, le délaissement affectif sont-ils des quotidiens si enviables pour que l'on puisse opposer à ces enfants l'interdiction de connaître, au nom d'une hypothétique morale, l'amour d'une mère ou d'un père pour les aider à se reconstruire?

La famille monoparentale n'est ni une structure familiale nouvelle, ni une struc­ture familiale rare. Ce qui est plus récent, c'est la création d'un groupe sociolo­gique, au milieu des années 70, dénommé “FAMILLE MONOPARENTALE” et mis en exergue par certains comme annonciateur de la fin de la Famille et por­teur de toutes les dérives : analyses faciles évitant la prise en compte des réels déterminants socio-économiques. Ce groupe englobe une multitude de situa­tions diverses où l'enfant est élevé de manière totale ou partielle par un seul parent. Ainsi, en cas de divorce ou de séparation de couple non mariés (situa­tions actuellement majoritaires) le rôle du parent non gardien est mis en pointillé. Cela fait-il pour autant de ces familles “des familles monoparentales “ ?

Le vécu de la famille monoparentale par adoption serait alors à rapprocher de celui des veufs ou des mères célibataires. Alors, pour pousser la logique de nos détracteurs, peut-être faudrait-il aussi retirer à ces dernières le droit d'élever leurs enfants puisque sans binôme parental un enfant ne pourrait se construire ? En résumé au nom de quelle morale, de quelles valeurs, pourrait-on retirer à des enfants le droit de se construire dans une famille aimante même si elle n'est composée que d'un seul parent?

 

Dominique Rumeau

Source : Dossier "l'adoption monoparentale" Revue Accueil de EFA N°2 Mai 1999

Retour à l'accueil